"Une fille, qui danse" de Julian Barnes, pp. 211 - Ed. Folio - 2014.
4ème de couv.
Tony, la soixantaine, a pris sa retraite. Il a connu une existence assez terne, un mariage qui l’a été aussi. Autrefois il a beaucoup fréquenté Veronica, mais ils se sont éloignés l’un de l’autre. Apprenant un peu plus tard qu’elle sortait avec Adrian, le plus brillant de ses anciens condisciples de lycée et de fac, la colère et la déception lui ont fait écrire une lettre épouvantable aux deux amoureux. Peu après, il apprendra le suicide d’Adrian.
Pourquoi Adrian s’est-il tué ? Quarante ans plus tard, le passé va ressurgir, des souvenirs soigneusement occultés remonter à la surface – Veronica dansant un soir pour Tony, un week-end dérangeant chez ses parents à elle… Et puis, soudain, la lettre d’un notaire, un testament difficile à comprendre et finalement, la terrible vérité, qui bouleversera Tony comme chacun des lecteurs d’Une fille, qui danse.
Deuxième phrase.
"Nous vivons dans le temps - il nous tient et nous façonne -, mais je n'ai jamais eu l'impression de bien le comprendre."
Citations.
"Quoi de plus logique qu'une aiguille des secondes? Et pourtant, il suffit du moindre plaisir ou de la moindre peine pour nous faire prendre conscience de la malléabilité du temps. Certaines émotions l'accélèrent, d'autres le ralentissent; parfois, il semble disparaître - jusqu'à l'instant fatal où il disparaît vraiment, pour ne jamais revenir."
"Mais il existe une ligne de pensée selon laquelle tout ce qu'on peut réellement dire de tout évènement historique, même le déclenchement de la Première Guerre mondiale, par exemple, est qu'il s'est "passé quelque chose".
"Nous savions, par notre lecture de la grande littérature, que l'Amour implique la Souffrance, et nous aurions volontiers enduré quelque Souffrance, s'il y avait une promesse implicite, peut-être même logique, que l'Amour pourrait alors venir."
"L'histoire est un sandwich aux rondelles d'oignon, m'sieur. (...) Elle se répète, m'sieur. Elle radote. On l'a vu bien souvent cette année. Même vieille histoire. Même vieille oscillation entre tyrannie et révolte, guerre et paix, prospérité et disette."
"Et parfois cela signifiait que son corps serait aussi bien défendu que la zone d'exclusion d'un pays pour la pêche."
"Ou peut-être est-ce de nouveau ce paradoxe: l'histoire qui se déroule sous notre nez devrait être la plus nette, et pourtant c'est la plus trouble."
"Par exemple, que "mémoire égale événement plus temps". Mais c'est bien plus biscornu que ça. Qui a dit qu'un souvenir est ce qu'on croyait avoir oublié? Et il devrait être évident que le temps agit moins comme un fixatif que comme un solvant. Mais il n'est pas commode - il n'est pas utile - de croire cela; (...)."
"Mais le temps... comme le temps nous soutient d'abord, puis a raison de nous... On croyait faire preuve de maturité, quand on était seulement en sécurité. On croyait être responsable, mais n'était que lâche. Ce qu'on appelait réalisme s'est révélé être une façon d'éviter les choses plutôt que de les affronter. Le temps... donnez-nous assez de temps et nos décisions les mieux étayées paraîtront bancales, nos certitudes fantaisistes."
"Je sais pour ma part qu'il y a un temps objectif, mais aussi un temps subjectif, le genre de temps qu'on porte sur la face interne du poignet, là où bat le pouls. Et ce temps personnel, qui est le vrai temps, se mesure dans notre relation à la mémoire."
Lilly's feeling.
J'ai été très heureuse de recevoir (^^) ce partenariat, et remercie chaleureusement les Éditions Folio ainsi que Livraddict. Le résumé de la quatrième de couverture est "perturbant", et je me suis encore une fois laissée influencer par une formulation erronée. Mais je ne spoilierai pas ici. Donc faites attention, et méfiez-vous des quatrièmes. :)
Une question se pose d'emblée, le véritable titre du roman est "the sense of an ending" mais il a été réintitulé "une fille, qui danse". Pourquoi cette virgule - qui n'est d'ailleurs pas présente dans le texte? Mais peut-être, étant donné la maîtrise de l'auteur envers la langue, et le fait qu'il ait été linguiste, est-il intervenu dans ce choix. Cependant je ne crois pas trop à cette théorie, mais passons.
Je connaissais Julian Barnes seulement à travers un autre de ses romans "le perroquet de Flaubert" et une fois encore je suis bluffée par sa maîtrise de la langue, son adresse pour jouer avec les mots, et surtout à employer le bon au bon moment. L'auteur dénote aussi un subtil effet humoristique au travers de ses propos dont le thème est plutôt sérieux au demeurant.
En découvrant le personnage d'Adrian, son côté supérieurement intelligent et éternellement jeune, je n'ai pu m'empêcher de penser au roman de Donna Tartt "le maître des illusions". Mais la ressemblance avec le roman s'arrête là, car le narrateur, Tony Webster est aussi banal que vous et moi.
Là où il est un peu moins ordinaire que la moyenne est qu'il se pose beaucoup de questions, sur le sens de la vie, le poids du temps et le temps qui passe, le passé et sa répercution sur notre vision de l'avenir... et surtout le poids des mots.
Un personnage, que je n'ai pu apprécié, même si je commence un peu à comprendre sa position - qui ne justifie pas pour autant son attitude - est Véronica. Quelle pinbèche cette fille!
Le temps passé avec Adrian est trop court, et le lecteur ne le connaît que très peu finalement, à part à travers quelques anecdotes souvenirs du narrateur. Mais qu'est-ce que le souvenir d'ailleurs et est-il réellement fiable? Car le temps qui passe élime la vision que l'on en a, comme une vision qui se rétrécit avec les années qui passent. Ce questionnement tout au long du roman - philosophique? métaphysique? - sur l'écoulement du temps et les souvenirs que l'on en garde est véritablement passionnant, même s'il peut en freiner quelqu'uns. Et c'est à ce niveau je pense que ressort le plus l'influence d'Adrian sur son ami. Mais je vous en laisse seul juge, car mes souvenirs de ce récit sont peut-être déjà floutés. ^^
En bref.
C'est un romansseau - romansseau à cause de sa brièveté, non de son contenu - captivant à lire. Il est écrit dans une langue magnifiquement maîtrisée. Julian Barnes est un auteur à découvrir au moins une fois dans sa vie. Il faut savoir qu'il a reçu, pour ce roman, le Man Booker Price 2011.
Pour en savoir plus sur l'auteur et sur le livre.
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