Kiran Millwood Hargrave - « Les graciées »
MILLWOOD HARGRAVE Kiran - « Les graciées »
400 pages.
Éditions Robert Laffont (2020).
« 1617, Vardø, au nord du cercle polaire, en Norvège. Maren Magnusdatter, vingt ans, regarde depuis le village la violente tempête qui s'abat sur la mer. Quarante pêcheurs, dont son frère et son père, gisent sur les rochers en contrebas, noyés. Ce sont les hommes de Vardø qui ont été ainsi décimés, et les femmes vont désormais devoir assurer seules leur survie. Trois ans plus tard, Absalom Cornet débarque d'Écosse. Cet homme sinistre y brûlait des sorcières. Il est accompagné de sa jeune épouse norvégienne, Ursa. Enivrée et terrifiée par l'autorité de son mari, elle se lie d'amitié avec Maren et découvre que les femmes peuvent être indépendantes. Absalom, lui, ne voit en Vardo qu'un endroit où Dieu n'a pas sa place, un endroit hanté par un puissant démon. »
INCIPIT - « La veille, Maren avait rêvé qu'une baleine s'était échouée sur les rochers en face de chez elle. »
Je viens de terminer le roman de Kiran Millwood Hargrave. Il est très rare que j'écrive à chaud sur un roman, j'aime bien faire décanter mon ressenti, prendre un peu de recul, mais cette fois-ci, j'ai l'impression que si je lui laisse un peu de temps, l'ensemble va s'évaporé, tel un éphémère. Les idées me viennent comme des vagues qui s'écraseraient sur les rochers en bas de la falaise de Vardo. C'est assez déstabilisant, mais ça caractérise bien l'idée générale que ce livre est tout en émotion. Les êtres comme la terre sont brutes, sans fard ni paillette. Le lecteur se prend cet aspect sauvage et franc en pleine face. À lui de savoir si il aime ça ou pas.
Vardo est un petit village perdu, au bout du bout du monde. Sur cette langue de terre, la mer a frappé, emportant dans une incroyable tempète, tous les marins sortis en mer. Seuls restent les femmes et quelques enfants. Il va falloir se débrouiller pour survivre, seules. Mais, le monde n'a pas oublié Vardo, et bientôt le seigneur va arrivé, ainsi qu'un délégué pour aider ces femmes à remettre de l'ordre dans leur vie, mais surtout dans leur amour de Dieu. Mais des rumeurs effroyables parviennent aux oreilles de ces isolées, des informations terribles : la chasse aux sorcières est ouverte, et le chasseur se rapproche...
Au début, le lecteur tourne les pages avec lenteur, picorant sa lecture s'imprégnant de cet environnement hostile, de ces personnages arides. Puis progressivement, les émotions vont prendre le dessus. Les obstacles, la dureté de la vie, l'injustice aberrante, la haine pure et simple, vont provoquer chez le lecteur une accélération. Une envie de savoir. Il est alors à la merci de l'auteure. La plume est délicate et précise. Elle n'est pas non plus minimaliste, mais aucun superflu ne vient freiner la narration. Kiran Millwood Hargrave suit sa trame sans faillir, malgré les événements qui se profilent et le tsunami de l'horreur qui va finir par tout écrasé.
Comme Ursa, lorsqu'elle débarque telle une fleur de soleil au milieu de cette terre rocailleuse. Le choc est brutal. Mais progressivement, lentement, la connection ce fait et elle apprend à apprécier ce lieu, qui doit devenir sa nouvelle maison. Maren quant à elle, est comme une pierre érodée par le vent, comme un morceau de bois flotté, usé et élimé par le vent et les courants marins; sec. Elle fait partie de cette terre. Elle n'a jamais appris à prendre soin d'elle, mais à survivre. Elle n'a jamais connu la beauté, la douceur. En fait tout ce que représente cette jeune femme de Bergen, cette citadine, cette personne d'un autre monde.
Enfin, associé à ces personnages et à cet environnement déjà exceptionnel, il y a le contexte. Ce village écrasé, détruit par une tempête, qui a vu ses marins, ses pères, ses fils, ses maris emportés, dévorés par les flots. Il faut bien faire face à cette pénurie d'hommes pour survivre sur ce bout de terre hostile. Mais, à cette époque, une femme n'est qu'un être sans visage qui doit une obéissance absolue à son mari, ou père. Cette indépendance inattendue va bouleversée aussi bien Vardo que le monde extérieur qui voit cela d'un très mauvais oeil. Et les conséquences vont être terribles.
Je remercie les Éditions Robert Laffont de leur confiance. Avec cette lecture, se confirme une fois de plus que l'homme est un loup pour l'homme. La différence n'a jamais été admise, et est vue comme de la sorcellerie. Le mal vous possède. Et ce titre, parfaitement trouvé, qui porte en lui une ironie qui fait mal, après avoir refermé ce livre.
EXCIPIT - « Et cela lui suffit. »