"Du bout des doigts" de Sarah Waters, pp. 752 - Ed. 10/18 - 2005.
4ème de couv.
Londres, 1862. À la veille de ses dix-huit ans, Sue Trinder, l'orpheline de Lant Street, le quartier des voleurs et des receleurs, se voit proposer par un élégant, surnommé Gentleman, d'escroquer une riche héritière. Orpheline elle aussi, cette dernière est élevée dans un lugubre manoir par son oncle, collectionneur de livres d'un genre tout particulier. Enveloppée par une atmosphère saturée de mystère et de passions souterraines, Sue devra déjouer les complots les plus délicieusement cruels, afin de devenir, avec le concours de la belle demoiselle de Briar, une légende parmi les cercles interlopes de la bibliophilie érotique. Héritière moderne de Dickens, mais aussi de Sapho et des Libertins, Sarah Waters nous offre une vision clandestine de l'Angleterre victorienne, un envers du décor où les héroïnes, de mariages secrets en amours interdites, ne se conduisent jamais comme on l'attendrait. Un roman décadent et virtuose.
Première phrase.
"En ce temps-là je m'appelais Susan Trinder."
Citations.
"Je crois bien que c'est comme ça que j'ai appris mes lettres: pas en les copiant, mais en les faisant disparaître."
"Maintenant Gentleman me fit plier le genou, plonger et me redresser et replonger à en avoir le mal de mer. Il disait que la révérence, pour une femme de chambre bien stylée, ça se faisait tout seul, comme de lâcher un vent."
"De prime abord, en voyant la maison se dresser au milieu de la nuit et du brouillard, je l'avais trouvée sinistre. J'aimerai dire qu'elle était plus accueillante en plein jour, mais non; au contraire. Elle avait sans doute eu fière allure autrefois, mais à présent le toit était vert de mousse et de nids d'oiseaux et les cheminées penchaient toutes comme des ivrognes."
"Je pris place à son côté. Il n'y avait pas un souffle de vent, mais il faisait froid, le silence crevait les tympans, et l'air rare sentait le vide."
"Personne ne parle. Personne ne bouge, à l'exception de Richard qui manie les rames. Nous nous enfonçons sans à-cooups, silencieusement, chacun dans la nuit de son enfer respectif."
"Attendez, mon enfant, attendez d'avoir mon âge. Alors les années, ça se confond. On fait plus la différence, c'est comme les larmes qui coulent..."
Lilly's feeling.
Petite remarque préalable, NE LISEZ PAS LA QUATRIEME!!
Quelle claque ce roman! C'est ma première lecture de Sarah Waters, mais en aucun cas la dernière.
Deux mondes se croisent celui des bas fonds londoniens à la Dickens, et celui des ladies de la campagne anglaise à la Jane Austen. Certains diront que les personnages sont manichéens mais je ne vois pas trop comment il aurait pu en être autrement. De plus ce n'est pas vrai pour tous les personnages. Mais chut...
Sarah Waters utilise les codes des genres littéraires qu'elle associe les uns aux autres "Du bout des doigts" (Ah, ah, il fallait bien que je la place celle-là^^). Il y a donc des pincées de littérature classique, un peu de gothique et un soupçon de thriller. Le lecteur prend progressivement de l'assurance, croyant être en terrain conquis. Il se dit qu'il a tout compris. Que nenni mon ami. Car tout à coup a lieu un rebondissement tel que l'on en reste stupéfait. Scotché. Pantelant. Sonné. Interloqué. Je continue ou vous avez compris l'idée?
"Du bout des doigts" cache bien son jeu. C'est un roman machiavélique (ça y est, le mot est lâché ^^) où l'auteur manipule le lecteur à sa guise, pour le mené là où elle le souhaite. Le mettant en confiance à l'aide d'une routine bien établie, et une certaine lenteur languissante lors de certains passages du récit, elle le laisse pantelant après un revirement qu'il n'a pas vu venir, même avec les yeux grands ouverts. C'est ainsi qu'il y a un lllooonnnggg passage un peu mort, dans lequel il ne se passe pas grand chose. Le lecteur devine certaines choses mais il se laisse quand même porté par la plume efficace de l'auteur. Et c'est un plaisir de se laisser manipuler.
Le style de Sarah Waters est impeccable. Elle insère même de l'argot dans les scènes se déroulant à Londres. Sa plume s'adapte facilement: légère quand il le faut, lente et délicate à d'autres moments et incisive également. C'est terrible. Juste un détail, l'auteur semble avoir une prédilection pour le thème du saphisme... ;)
En bref.
C'est un roman bluffant où les personnes ne sont pas ce qu'elles semblent être et dans lequel le lecteur est une pauvre victime de la plume de l'auteur. Magistral.
Pour en savoir plus sur l'auteur et sur le livre.
D'autres avis.